La liberté de choisir son assurance emprunteur et d’en changer en cours de prêt immobilier est un droit désormais bien établi en France. Mais encore faut-il que les banques respectent scrupuleusement les dispositions légales. Tout récemment, le CIC Est, filiale régionale du groupe Crédit Mutuel, a été condamné par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) pour non-respect du délai réglementaire dans la cadre de la loi Lemoine. Cette décision constitue une première en matière de sanctions et pourrait marquer un tournant dans l’application de cette réforme.
Une première sanction qui crée un précédent
La DGCCRF vient d’infliger une amende de 196 000 euros au CIC Est. Le motif : l’établissement bancaire n’a pas respecté le délai obligatoire de 10 jours ouvrés pour traiter les demandes de changement d’assurance emprunteur.
Cette obligation est au cœur de la loi Lemoine, entrée en vigueur en 2022, qui a profondément renforcé le droit des emprunteurs. Pour rappel, la réglementation prévoit une amende de 15 000 € aux prestataires qui manqueraient à leurs obligations.
La sanction est symbolique à plus d’un titre :
- Son montant prouve le caractère répété de la pratique au sein d’un même établissement.
- C’est la première fois que la DGCCRF frappe un acteur bancaire pour ce type d’infraction.
- Surtout, elle envoie un signal fort au secteur financier : les retards ou entraves dans le traitement des demandes ne seront plus tolérés.
Non-respect du délai : une pratique bancaire courante
Pour aboutir à cette décision, une enquête minutieuse a été menée par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Bas-Rhin, bras armé local de la DGCCRF. Sur près d’un an, entre août 2023 et mai 2024, les agents ont passé au crible les pratiques du CIC Est. De nombreux dossiers présentaient alors des délais largement supérieurs à ceux prévus par la loi.
Ces manquements n’étaient pas anodins pour les consommateurs. En effet, certains emprunteurs ont dû payer 2 cotisations d’assurance en parallèle, le temps que leur nouvelle couverture soit validée par la banque, avant de réclamer un remboursement. Une situation injuste et contraire à l’esprit de la réforme.
L’évolution du droit au changement d’assurance de prêt immobilier
Pour comprendre l’importance de cette sanction, il faut revenir sur l’historique du droit à la délégation d’assurance :
- Loi Lagarde (2010) : première ouverture, permettant aux emprunteurs de souscrire une assurance différente de celle proposée par leur banque.
- Loi Hamon (2014) : possibilité de changer d’assurance durant la première année du prêt.
- Amendement Bourquin (2018) : mise en place de la résiliation annuelle, à la date d’échéance du contrat.
- Loi Lemoine (2022) : étape décisive, offrant la résiliation à tout moment, sans frais, pour tous les contrats.
La révolution Lemoine
La réforme Lemoine a donc considérablement élargi les droits des emprunteurs, tout en fixant des obligations claires aux banques :
- informer chaque année les emprunteurs de leur droit de substitution de l’assurance ;
- un délai maximal de 10 jours ouvrés pour répondre à toute demande de substitution et rédiger gratuitement un avenant au contrat de prêt.
L’objectif est clair :
- fluidifier le marché
- stimuler la concurrence
- améliorer le pouvoir d’achat des ménages.
Car dans les faits, l’assurance emprunteur représente jusqu’à un tiers du coût total du crédit immobilier. Après les intérêts, l’assurance représente le deuxième coût d’un prêt à l’habitat. Le libre choix du contrat constitue le premier levier d’économies pour faire baisser le TAEG (Taux Annuel Effectif Global), seul indicateur officiel du coût final d’un crédit immobilier.
Des économies colossales
La question de l’assurance emprunteur ne doit pas être minimisée. Selon plusieurs études, passer d’un contrat bancaire classique à une offre d’un assureur externe permet d’économiser plus de 15 000 € sur la durée d’un prêt immobilier, à garanties équivalentes.
Avec la hausse continue des taux d’intérêt et des prix de l’immobilier, ces économies deviennent cruciales pour les ménages. La loi Lemoine a précisément été conçue pour redonner du souffle au pouvoir d’achat, en rendant ce marché plus transparent et plus concurrentiel.
Pratiques bancaires abusives : un frein au changement d’assurance emprunteur
Malgré ce cadre légal renforcé, les pratiques abusives persistent. L’Apcade (Association pour la promotion de la concurrence en assurance emprunteur), qui regroupe des courtiers et des assureurs alternatifs dont Magnolia.fr, dénonce depuis plusieurs années les lenteurs ou refus implicites de certaines banques.
Selon son Observatoire de l’assurance emprunteur 2024, près d’une demande sur deux excède encore le délai légal de 10 jours. Ce constat montre que le problème ne se limite pas au CIC Est, mais qu’une grande partie du secteur bancaire ne respecte pas le délai de réponse imposé par la loi Lemoine.
Les retards volontairement appliqués ont un double effet négatif :
- Ils freinent la concurrence et maintiennent les banques en position dominante.
- Ils pèsent directement sur le portefeuille des emprunteurs, qui restent bloqués avec des contrats plus coûteux.
La réaction des acteurs du marché
La décision de sanctionner le CIC Est a été saluée par l’Apcade. Activement engagée depuis fin 2020 pour libéraliser le marché de l’assurance emprunteur par des pratiques concurrentielles loyales, l’association confirme que de nombreuses banques continuent de faire obstacle à la loi Lemoine au détriment du pouvoir d’achat des ménages et que ces modus operandi ne sont pas marginaux mais systématiques.
Cette décision de la DGCCRF montre que le droit des emprunteurs à choisir librement leur assurance ne peut plus être entravé et que les pratiques dilatoires doivent cesser.
Ce premier exemple de manquement sanctionné pourrait servir de mise en garde et inciter d’autres établissements à respecter enfin les délais légaux.
Les conséquences pour les emprunteurs
Pour les particuliers, cette décision a une portée pratique très concrète. En cas de non-respect, les consommateurs disposent désormais d’un précédent solide pour faire valoir leurs droits, voire saisir les autorités compétentes.
L’accompagnement d’un professionnel est aussi un moyen de faire pression sur un prêteur indélicat : que ce soit en souscription initiale ou dans le cadre d’une substitution, le rôle d’un courtier en assurance de prêt est d’aider tout emprunteur à trouver l’assurance compétitive adaptée à ses besoins et conforme aux exigences de la banque, et de rappeler cette dernière à la loi en cas d’abus.
Vers un contrôle accru des banques ?
La sanction infligée au CIC marque peut-être le début d’une nouvelle ère. Il est probable que la DGCCRF accentue ses contrôles dans les prochains mois, afin de vérifier que les autres établissements respectent la loi.
Ce mouvement pourrait aussi renforcer la légitimité des associations comme l’Apcade, qui militent pour une concurrence plus saine. Enfin, les emprunteurs, mieux informés de leurs droits, seront sans doute plus enclins à signaler les abus et à exiger une réponse rapide de leur banque.
En sanctionnant le CIC Est, la DGCCRF envoie un message clair : le changement d’assurance emprunteur n’est plus une option laissée à la bonne volonté des banques, mais un droit fondamental des consommateurs.
Cette décision, inédite, pourrait servir d’exemple et pousser l’ensemble du secteur bancaire à adopter des pratiques conformes à la loi Lemoine. Pour les emprunteurs, c’est une garantie supplémentaire que leur liberté de choix sera enfin respectée, avec à la clé des économies substantielles et un meilleur équilibre concurrentiel.