Adoptée pour instaurer plus de transparence et de concurrence dans le secteur du crédit immobilier, la loi Lemoine promettait une révolution : permettre à chaque emprunteur de changer d’assurance de prêt à tout moment, sans frais ni pénalités. Deux ans plus tard, le bilan est mitigé. Si les consommateurs ont gagné en liberté, certaines banques persistent à freiner les démarches de substitution. Entre lenteurs administratives, réponses tardives et refus injustifiés, les pratiques dilatoires se multiplient. Mais les récentes sanctions de la DGCCRF pourraient bien changer la donne dès 2026.
Délégation d’assurance emprunteur : une liberté théorique encore souvent contournée
Sur le papier, l’assurance emprunteur n’est pas obligatoire. Pourtant, dans les faits, aucun crédit immobilier n’est accordé par une banque sans cette couverture. Elle protège le prêteur en cas de décès, d’invalidité, d’incapacité de travail, voire de perte d’emploi de l’emprunteur, garantissant ainsi le remboursement du prêt.
Jusqu’en 2010, les établissements prêteurs imposaient leur propre assurance, souvent plus coûteuse. La loi Lagarde a mis fin à ce monopole en instaurant la délégation d’assurance : l’emprunteur peut refuser l’assurance groupe de la banque et souscrire un contrat externe, à garanties équivalentes.
Les réformes suivantes ont renforcé cette liberté :
- Loi Hamon (juillet 2014) : résiliation possible pendant la première année de crédit ;
- Loi Bourquin (janvier 2017) : résiliation annuelle à la date d’échéance du contrat ;
- Loi Lemoine (juin 2022) : résiliation à tout moment, sans frais ni pénalités.
En théorie, les ménages peuvent désormais choisir la meilleure offre du marché à tout moment pour réduire le coût global de leur crédit immobilier. Mais sur le terrain, cette liberté reste trop souvent compromise.
Des pratiques bancaires contraires à l’esprit de la loi
Plus de 55 % des emprunteurs ayant demandé une substitution d’assurance en 2023 ont rencontré des retards dans le traitement de leur dossier, selon l’Apcade (Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs).
Les banques invoquent souvent des problèmes « techniques » ou « administratifs » pour justifier ces délais. En réalité, ces pratiques ont pour but d’entraver la concurrence.
Certains établissements multiplient les échanges de documents, réclament des pièces déjà transmises ou tardent à envoyer l’avenant au contrat de prêt. Ces comportements, clairement contraires à la loi, constituent des pratiques dilatoires.
Or, l’article L.313-31 du Code de la consommation est explicite :
- la banque doit répondre sous 10 jours ouvrés à toute demande de substitution d’assurance ;
- en cas d’acceptation, elle doit transmettre l’avenant au contrat dans le même délai, sans frais ni pénalités ;
- tout refus doit être motivé par écrit et fondé sur l’équivalence des garanties.
Tout manquement expose l’établissement à une amende administrative pouvant atteindre 15 000 €.
La DGCCRF sanctionne plusieurs grandes banques
Face à ces abus répétés, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a décidé de serrer la vis.
Début octobre, une première banque est sanctionnée pour non-respect de la loi Lemoine : le CIC Est, filiale du Crédit Mutuel, écope d’une amende de 196 000 € Cette décision marque un précédent important, rappelant que la loi Lemoine n’est pas une simple recommandation, mais une obligation juridique.
Quelques jours plus tard, 3 autres grandes enseignes sont épinglées :
- BRED Banque Populaire : amende de 298 000 €
- Caisse d’Épargne Île-de-France : amende de 80 000 €
- Crédit Agricole Paris Île-de-France : amende record de 323 518 €
Ces sanctions, prononcées à la suite d’enquêtes menées entre 2022 et 2024, concernent toutes le non-respect du délai légal de 10 jours ouvrés pour traiter les demandes de substitution d’assurance.
À noter que le Crédit Agricole détient plus de 33 % de parts de marché sur le crédit immobilier en France. Ce poids économique lui confère une influence considérable, mais aussi une responsabilité accrue en matière de conformité réglementaire.
Des retards qui freinent la concurrence et pénalisent les emprunteurs
Le non-respect des délais légaux ne constitue pas un simple problème administratif : il freine la concurrence et empêche les ménages de faire des économies. Une substitution d’assurance permet pourtant de réduire le coût du crédit de plusieurs milliers d’euros sur la durée du prêt.
Selon les données de l’Apcade :
- 1 demande sur 2 dépasse le délai légal de 10 jours ;
- dans 1 cas sur 3, les emprunteurs attendent plus de 20 jours pour une réponse ;
- les économies moyennes réalisées grâce à la loi Lemoine peuvent atteindre jusqu’à 15 000 € sur 20 ans.
Ces retards découragent de nombreux emprunteurs de faire jouer la concurrence, au profit des bancassureurs qui conservent environ 85 % des parts de marché.
Les comparateurs d’assurance emprunteur, ainsi que les courtiers en assurance de prêt, facilitent les démarches de délégation/substitution. Ils analysent les contrats bancaires et proposent des offres plus compétitives tout en garantissant une équivalence de garanties.
La loi Lemoine : un levier pour rééquilibrer les rapports de force
Promulguée le 28 février 2022, la loi Lemoine a été pensée pour simplifier les démarches et renforcer la concurrence entre acteurs bancaires et assureurs indépendants.
Ses principales avancées sont les suivantes :
- Résiliation à tout moment, sans frais, sans justification et sans préavis particulier ;
- Réponse obligatoire sous 10 jours ouvrés pour toute demande de substitution ;
- Refus motivé par écrit, uniquement pour cause de non-équivalence de garanties ;
- Amendes administratives pour les établissements contrevenants.
Mais la loi Lemoine ne se limite pas à la liberté de résiliation. Elle intègre aussi 2 mesures inclusives en faveur des emprunteurs stigmatisés par les problèmes de santé :
- Suppression du questionnaire médical pour les parts assurées jusqu’à 200 000 €, et remboursées avant les 60 ans de l’assuré ;
- Réduction du délai du droit à l’oubli de 10 à 5 ans après une guérison complète d’un cancer ou d’une hépatite C.
Ces avancées visent à faciliter l’accès au crédit aux personnes ayant des antécédents médicaux, habituellement facteurs de surprimes rédhibitoires ou même de refus d’assurance.
Les sanctions vont-elles se multiplier en 2026 ?
Les sanctions prononcées par la DGCCRF ne sont que le début. Les autorités ont annoncé de nouvelles enquêtes sur la période 2022-2025. L’année 2026 pourrait donc marquer une étape décisive : celle du passage d’une loi « de principe » à une loi réellement appliquée.
L’objectif du gouvernement est clair : rétablir un équilibre durable entre banques et consommateurs, redonner confiance aux emprunteurs et permettre à la concurrence de jouer pleinement son rôle.
2026 : vers la fin des abus bancaires ?
L’esprit de la loi Lemoine repose sur un principe simple : offrir à chaque emprunteur la liberté de choisir une couverture adaptée à son profil et à son budget. En ouvrant la concurrence, le législateur espérait dynamiser un marché longtemps verrouillé par les bancassureurs.
Mais pour que cette promesse devienne réalité, encore faut-il que les acteurs financiers jouent le jeu. Les amendes infligées par la DGCCRF rappellent que la transparence et la loyauté commerciale ne sont pas négociables. Les acteurs alternatifs (courtiers, assureurs indépendants, plateformes en ligne) ont aussi un rôle clé à jouer pour sensibiliser les Français à la liberté de résiliation à tout moment.
Si les contrôles s’intensifient en 2026, la loi Lemoine pourrait enfin produire ses effets : un marché plus équilibré, des économies concrètes pour les ménages et une concurrence saine entre banques et assureurs indépendants.