Dans les années 2000, de nombreux travailleurs frontaliers ont choisi de financer leur résidence principale par un prêt en francs suisses. À l’époque, ces crédits immobiliers étaient présentés comme avantageux : taux plus faibles, mensualités allégées et accès facilité à la propriété malgré la flambée des prix immobiliers dans les zones frontalières.
Mais derrière cette promesse séduisante, un risque majeur a été largement sous-estimé, voire passé sous silence : la variation du taux de change euro/franc suisse. Aujourd’hui, des milliers de ménages découvrent qu’ils ont payé leur maison 2 fois son prix initial.
Témoignages de frontaliers : maisons payées mais dettes toujours en cours
Pierre et Annette, un couple de frontaliers ayant travaillé toute leur vie en Suisse, contractent en 2007 un crédit en francs suisses auprès de leur banque pour financer leur maison dans le Pays de Gex. Le prêt est converti en euros pour l’achat, mais le remboursement quant à lui reste indexé sur le franc suisse.
Après avoir soldé leur emprunt, ils pensaient tourner la page. Pourtant, la banque leur réclame encore près de 100 000 euros supplémentaires, conséquence directe de l’évolution défavorable de la monnaie.
Le couple doit continuer à payer jusqu’en 2032 à cause d’une histoire de change, dénonçant des clauses abusives et un manque flagrant d’information.
Le sort est encore moins enviable pour Miguel, licencié de son emploi en Suisse, obligé de revendre sa maison pour rembourser à la hâte 550 000 € un crédit initial de 280 000 €.
Pourquoi les prêts en francs suisses posent problème ?
L’évolution de l’euro face au franc suisse
Depuis 2008, l’euro a perdu près de 40 % de sa valeur face au franc suisse. Ce glissement monétaire, accentué par la décision de la Banque nationale suisse de supprimer le taux plancher en 2015, a transformé un crédit attractif en véritable fardeau pour des milliers de foyers.
Le mécanisme du piège financier
- À l’octroi du prêt : le capital est converti en euros pour permettre l’achat immobilier.
- Pendant le remboursement : les mensualités sont calculées en francs suisses, puis converties en euros selon le cours du jour.
- Conséquence : si l’euro se déprécie, l’emprunteur rembourse beaucoup plus que prévu, même si le capital a été remboursé en valeur nominale.
En pratique, des ménages ont payé leur logement une fois et demie voire deux fois son prix d’achat initial.
Une information insuffisante des emprunteurs
Beaucoup de frontaliers affirment n’avoir jamais été clairement informés de ce risque. Les contrats mentionnent la parité monétaire, mais sans explication concrète de ses impacts financiers. Pour certains avocats, il s’agit d’un défaut d’information et de transparence, engageant directement la responsabilité des banques.
Rappelons que l’assurance d’un prêt en franc suisse ne couvre pas les aléas du taux de change, uniquement les risques de décès, d'invalidité et d’incapacité (voire perte d’emploi). Le défaut de paiement sous-jacent dans le cadre des prêts en francs suisses est garanti par l’hypothèque ou la caution, ce qui entraîne la vente du logement si l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face à la dette.
Vers une bataille judiciaire de grande ampleur
L’intervention de la justice européenne
Face à la multiplication des litiges, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie. Elle exige désormais que les banques prouvent avoir rempli leur devoir d’information. En cas de manquement, les emprunteurs peuvent obtenir l’annulation du prêt et la restitution des sommes versées à tort.
Revirement de la Cour de cassation française
Le 9 juillet 2025, la Cour de cassation a rendu 2 arrêts historiques. Elle a jugé que les établissements prêteurs devaient anticiper et expliquer dès l’origine :
- les risques liés au taux de change
- les conséquences d’un licenciement
- les impacts d’un départ à la retraite
- ou encore la difficulté de revente d’un bien financé en francs suisses.
Si le tribunal estime que l’emprunteur n’a pas été correctement informé, le contrat peut être annulé et les banques contraintes de rembourser leurs clients.
Un nombre colossal de dossiers en suspens
On estime à 40 000 le nombre de contrats potentiellement concernés, signés avant 2015, date à laquelle la signature d’une convention de change est devenue obligatoire. Depuis cette réforme, les nouveaux emprunteurs sont mieux avertis, mais pour ceux des années 2000, le combat judiciaire ne fait que commencer.
Quels recours pour les emprunteurs lésés ?
L’action collective comme solution
Face à la complexité des procédures individuelles, plusieurs associations de défense de consommateurs et collectifs de frontaliers encouragent les victimes à s’unir pour engager des actions groupées. Cette démarche permet d’alléger les frais de justice et de donner plus de poids aux revendications.
L’importance de l’accompagnement juridique
Un avocat spécialisé en droit bancaire et en contentieux liés aux emprunts en devises étrangères peut analyser chaque contrat et déterminer si les conditions légales d’information ont été respectées.
Dans certains cas, les tribunaux ordonnent :
- la suppression des clauses abusives
- la renégociation du contrat
- ou l’annulation pure et simple du prêt.
Les alternatives de renégociation
En parallèle, certains établissements financiers acceptent de discuter avec leurs clients pour éviter des procès coûteux et médiatisés. Cela peut prendre la forme d’un rachat de crédit en euros ou d’un aménagement du remboursement.
Tableau sur les principaux risques liés aux prêts en francs suisses identifiés par la justice
Risques identifiés |
Conséquences pour l’emprunteur |
Obligations des banques |
Variation du taux de change |
Augmentation du capital restant dû, dettes dépassant parfois le prix du bien |
Informer clairement sur l’impact des fluctuations euro/CHF Convention de change entre la banque et l’emprunteur |
Licenciement ou perte d’emploi |
Impossibilité de maintenir les remboursements, risque de surendettement |
Anticiper et expliquer l’effet d’une perte de revenus |
Départ en retraite |
Baisse de revenus, charges de crédit devenant insupportables |
Prévenir sur les difficultés de remboursement à long terme |
Revente du bien immobilier |
Prix de vente insuffisant pour solder le prêt, dette résiduelle persistante |
Avertir sur le risque d’un capital restant dû supérieur au prix de revente |
Clauses abusives ou opaques |
Déséquilibre contractuel en défaveur du client |
Garantir transparence et intelligibilité des clauses de change |
Conclusion : un combat qui pourrait faire jurisprudence
Les prêts en francs suisses sont devenus le symbole d’un déséquilibre contractuel entre particuliers et établissements bancaires. Alors que certains ménages remboursent encore une dette disproportionnée malgré une maison déjà payée, la justice européenne et française ouvre une porte d’espoir.
Si les tribunaux confirment systématiquement que les banques ont manqué à leur devoir d’information, cela pourrait entraîner des milliards d’euros de remboursement et un changement durable dans la manière dont sont encadrés les prêts en devises étrangères.