Crédit immobilier : vers les prêts remboursés sur 60 ans ?
La norme française en matière d’octroi de prêt immobilier fixe la durée de remboursement maximale à 25 ans, voire 27 ans dans certains cas. Pour faciliter l’accès au crédit immobilier, le vice-président de la région Île-de-France suggère d’allonger la durée autorisée jusqu’à 60 ans. Une proposition surprenante qui mérite quelques explications.
Difficile accès au crédit immobilier
Depuis plus d’un an, les médias, tout comme la rédaction de Magnolia.fr, ne cessent d’informer sur la remontée brutale des taux d’intérêts du crédit immobilier et leur évolution permanente. Le phénomène a surpris tout le monde après des années de taux au plancher qui ont permis de dynamiser le marché immobilier. Plus d’un million de transactions dans l’ancien ont été réalisées en 2021 et en 2022.
La guerre en Ukraine change la donne, propulsant l’inflation à des niveaux oubliés (5,2% en 2022 et 5,1% sur un an en mai 2023), ce qui oblige la Banque Centrale Européenne à durcir sa politique monétaire, fort accommodante depuis 2016. La dernière hausse du taux de la BCE en juin 2023 dégrade davantage les conditions d’emprunt pour les ménages. Actuellement, on s’endette à près de 4% sur 20 ans (hors assurance de prêt immobilier et frais de garantie), contre 1% fin 2021.
La mensualisation du taux d’usure depuis le 1er février 2023 n’est malheureusement pas d’un grand secours ; prolongée jusqu'au 1er janvier 2024, elle permet tout juste de retarder l’effet ciseau face à une progression sans fin des taux d’intérêts. D’autant que les candidats au prêt immobilier sont bloqués par les règles du HCSF (Haut Conseil de Stabilité Financière). Depuis janvier 2021, l’institution impose des bornes aux banques de détail :
Le taux d’endettement est plafonné à 35% des revenus nets, avant impôt et assurance de prêt comprise.
La durée de remboursement est limitée à 25 ans, voire jusqu’à 27 ans pour un achat dans le neuf ou dans l’ancien avec gros travaux de rénovation.
Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la région Île-de-France, propose de détendre la règle de la durée de remboursement pour certains prêts.
Emprunter sur 50 ou 60 ans : bonne ou mauvaise idée ?
Pourquoi ne pas accorder des prêts immobiliers sur une très longue durée, pouvant aller jusqu’à 60 ans, et non plus 25 ans ? « Quand on construit une maison, elle est là pour 50 ans, 80 ans, un siècle, si ce n’est plus. Qu’est-ce qui impose alors de faire un emprunt sur 20 ou 25 ans ? On pourrait très bien avoir un emprunt sur 50 ou 60 ans qui porte pour tout ou partie sur le bien et qui serait revendu avec », telle est la proposition faite par l’édile dans son livre « L’habitat fait le citoyen », paru le 23 juin.
L’allongement de la durée d’emprunt permet de diminuer les mensualités, ce qui facilite l’accès au crédit immobilier aux ménages modestes faiblement dotés en apport personnel et en épargne de précaution. Il a aussi pour effet de renchérir le coût du crédit, mais le taux d’endettement mensuel est moindre. Si l'on suit l'idée de Jean-Philippe Dugoin-Clément, cela permettrait aux ménages qui ne pourraient pas emprunter aux conditions actuelles d’accéder à la propriété. Pour étayer sa suggestion, il rappelle qu’une majorité de prêts sont soldés avant leur terme initial, la durée moyenne de détention d’un prêt immobilier étant de 8 ans en France. Selon lui, « la durée de remboursement n’a donc aucun rapport avec le calendrier familial. La question de la durée n’est pas en tant que telle un sujet ».
Sa théorie consiste à faire porter le prêt sur le bien immobilier et non sur la personne. Ce système est déjà utilisé en Suisse et dans les pays scandinaves où l’emprunt passe au nouveau propriétaire en cas de revente du bien. Les ménages ne sont plus obligés de solder leur crédit avant de passer à un autre projet.
Interrogé par le journal Le Figaro, l’économiste Pierre Madec à l’OFCE (Office Français des Conjectures Économiques) juge que cette proposition à visée court-termiste présente un risque inflationniste important en alimentant la hausse des prix des logements. Permettre d’accéder plus facilement à l’emprunt en période de taux élevés en allongeant la durée de remboursement est de nature à maintenir voire augmenter les prix immobiliers, tout en alourdissant la charge des intérêts pour les ménages. L’expert se dit confiant dans l’évolution du marché immobilier, et table sur une stabilité des taux d’intérêts qui permettrait de compenser partiellement la hausse des taux.