En France, la santé est un droit fondamental garanti par la Sécurité sociale. Pourtant, derrière ce principe d’universalité se cachent de profondes disparités. Selon une étude de la DREES publiée en août 2025, les ménages consacrent en moyenne 15 % de leurs revenus à la santé. Mais cette moyenne masque des écarts importants : certains foyers aisés, notamment des retraités, s’en sortent plutôt bien, tandis que d’autres, plus modestes ou mal protégés par une complémentaire santé, voient leur budget grevé par des dépenses médicales considérables.
Des inégalités fortes derrière la moyenne nationale
L’étude de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques) montre que 10 % des ménages français sont particulièrement pénalisés par les dépenses de santé. Pour eux, le « taux d’effort » atteint en moyenne 23 % des revenus, soit presque un quart de leur budget. Plus inquiétant encore : pour 1 % des foyers les plus touchés, ce taux grimpe à 34 %, un niveau insoutenable pour des familles déjà fragiles financièrement.
Le taux d’effort est l’addition du reste à charge, du financement de l’Assurance Maladie obligatoire et des primes versées à la complémentaire santé.
Ces cas extrêmes concernent surtout :
- des ménages modestes, souvent salariés précaires ou travailleurs indépendants aux revenus instables
- des personnes atteintes d’affections de longue durée (ALD), générant des soins réguliers et coûteux
- des foyers dépourvus de complémentaire santé performante, ou qui renoncent à souscrire par manque de moyens.
Ainsi, la promesse d’égalité d’accès aux soins est loin d’être tenue dans la pratique.
Les actifs plus touchés que les retraités
L’étude souligne un paradoxe : les actifs supportent un poids plus lourd que les retraités. Trois quarts des foyers concernés par un fort taux d’effort sont composés de personnes en activité.
Pourquoi une telle différence ?
- Les actifs contribuent davantage via les prélèvements obligatoires (cotisations maladie, CSG, impôts liés à la santé).
- Les retraités bénéficient souvent de prélèvements plus légers et, lorsqu’ils disposent de revenus confortables, la part consacrée à la santé reste limitée.
Quelques chiffres pour illustrer
- Un actif très aisé consacre 18 % de ses revenus à la santé ;
- Un retraité avec un niveau de vie équivalent n’y consacre que 11 %.
Chez les ménages modestes, l’écart est moindre : 15 % pour les actifs contre 14 % pour les retraités. Mais dans tous les cas, ce sont bien les foyers les plus vulnérables qui voient leur pouvoir d’achat fortement amputé par les dépenses de santé.
Retraités aisés : favorisés par le système ?
L’Assurance Maladie française repose sur un principe d’équité : chacun doit contribuer en fonction de ses moyens et bénéficier de soins selon ses besoins. En théorie, ce système devrait corriger les inégalités. Mais la réalité est plus nuancée.
- Pour les actifs, la contribution est progressive : plus les revenus augmentent, plus la part prélevée pour financer la santé est élevée.
- Pour les retraités, le mécanisme devient au contraire régressif : les restes à charge (dépenses non remboursées) et les cotisations de mutuelle santé senior pèsent proportionnellement plus lourd pour les retraités modestes que pour ceux disposant de revenus élevés.
Résultat : les retraités aisés s’en sortent mieux, consacrant une part relativement faible de leur budget à la santé, tandis que les retraités modestes doivent arbitrer entre dépenses médicales et autres besoins essentiels.
Le non-recours à la Complémentaire santé solidaire : un frein majeur
Autre enseignement de l’étude : de nombreux ménages modestes ne bénéficient pas des dispositifs d’aide auxquels ils ont droit.
Avant la Complémentaire santé solidaire (C2S), 12 % des personnes les plus précaires n’avaient aucune complémentaire santé. Parmi les foyers pour lesquels la santé représentait un fardeau écrasant, beaucoup auraient pu prétendre à la CMU-C ou à l’ACS (Aide à la Complémentaire Santé)… mais ne l’avaient pas demandée.
Les raisons de ce non-recours sont multiples :
- manque d’information sur l’existence des dispositifs
- démarches administratives jugées trop lourdes
- dépassement minime des plafonds de ressources, excluant certaines familles pourtant fragiles (effet de seuil).
Ce phénomène contribue à accentuer les inégalités, car sans mutuelle, le reste à charge devient rapidement insupportable.
Important : La C2S remplace la CMU-C et l’ACS depuis novembre 2019. Elle permet d’accéder à une mutuelle santé gratuitement ou moyennant une participation minime déterminée en fonction de l’âge (entre 8€ et 30€ par mois).
Des dépenses lourdes en période de rigueur budgétaire
L’étude de la DREES s’appuie sur des données de 2019, donc avant la mise en place du dispositif 100 % santé ou reste à charge zéro (prothèses dentaires, lunettes de vue et appareils auditifs). Mais même après cette réforme, les questions demeurent : les plus modestes continuent-ils à payer le prix fort ?
D’autant que l’État multiplie les réformes visant à réduire la dépense publique :
- augmentation des franchises médicales
- projet de révision du remboursement des ALD
- participation accrue des patients aux frais.
Or, ces ajustements pèsent davantage sur les ménages les plus faibles, ceux pour qui chaque euro compte.
Le renoncement aux soins : une conséquence directe
Pour les ménages du top 1 % des taux d’effort, la santé ne représente pas seulement un poids financier : c’est aussi une source d’exclusion. Face à des dépenses trop lourdes, beaucoup finissent par renoncer à certains soins.
Les postes les plus concernés sont :
- les soins dentaires (implants, prothèses)
- les équipements optiques (lunettes de correction, lentilles)
- les prothèses auditives.
Ces soins, coûteux et mal remboursés par le régime général, deviennent inaccessibles pour une partie de la population, accentuant les inégalités en matière de santé et de qualité de vie.
La santé en France repose sur un modèle solidaire, mais les chiffres de la DREES rappellent que ce modèle ne bénéficie pas à tous de la même manière. Les ménages modestes, qu’ils soient actifs ou retraités, paient proportionnellement bien plus que les foyers aisés, en particulier parmi les retraités.
À l’heure où de nouvelles réformes budgétaires se profilent, une réflexion s’impose : comment garantir une répartition plus équitable de la dépense de santé et éviter que les plus fragiles ne soient contraints de renoncer aux soins ?