Depuis la publication d’un rapport du Sénat sur les complémentaires santé et le pouvoir d’achat des Français, une proposition inquiète profondément les professionnels : l’exclusion du remboursement des actes d’ostéopathie et de chiropraxie par les contrats dits “responsables et solidaires”. Cette mesure, encore à l’état de projet, pourrait être intégrée au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la profession et pour les patients.
Un collectif d’ostéopathes et de chiropracteurs tire la sonnette d’alarme
Trois grandes organisations professionnelles – l’Union pour l’Ostéopathie (UPO), l’Association Française d’Ostéopathie (AFO) et l’Association Française de Chiropraxie (AFC) – se sont unies pour dénoncer cette orientation politique jugée dangereuse. Ensemble, elles ont lancé à la mi-juin une pétition en ligne afin de mobiliser patients, praticiens et mutuelles. En moins d'une semaine, cette action a déjà réuni près de 7 000 signatures, témoignant d'une forte mobilisation de la communauté.
Un impact direct sur des millions de patients
Chaque année, près de 18 millions d’actes d’ostéopathie sont réalisés en France, selon les chiffres avancés par l’UPO. Ces soins, aujourd’hui largement remboursés dans le cadre des contrats de mutuelle responsable, bénéficient à environ deux tiers des patients, pour un coût moyen de 25 € par séance.
Or, plus de 96 % des assurés souscrivent à ce type de contrat, en raison notamment de prise en charge optimisée si l’on respecte le parcours de soins coordonnés. Si le remboursement des actes d’ostéopathie venait à être exclu, cela bouleverserait tout un pan de l’offre de soins complémentaires, tant pour les assurés que pour les professionnels.
Un enjeu économique et social sous-jacent
Derrière cette proposition, le Sénat avance une logique économique : réduire le coût des garanties santé proposées par les complémentaires. D’après le rapport sénatorial publié en septembre 2024, les dépenses liées aux médecines dites douces – comprenant ostéopathie, chiropraxie, sophrologie, etc. – ont quintuplé en huit ans, atteignant 1 milliard d’euros en 2022, soit environ 3 % du total des prestations remboursées par les Ocam (organismes complémentaires d'assurance maladie).
Cette inflation des remboursements expliquerait, selon les auteurs du rapport, une partie de l’augmentation des cotisations des contrats de mutuelle santé. En sortant ces actes du périmètre du contrat responsable, les sénateurs espèrent donc alléger les garanties proposées, et rendre les complémentaires santé plus abordables pour les assurés.
Une vision jugée réductrice par les professionnels
Pour les organisations d’ostéopathes, cette approche est non seulement réductrice, mais aussi potentiellement contre-productive. Elles rappellent que l’ostéopathie est une profession réglementée, enregistrée auprès des Agences Régionales de Santé (ARS), et dont l’efficacité est reconnue, notamment dans la réduction des arrêts de travail et dans l’accompagnement de nombreuses pathologies musculo-squelettiques.
Philippe Sterlingot, président de l’UPO, déplore l’amalgame fait par le rapport sénatorial entre pratiques réglementées et pratiques non encadrées comme la sophrologie. Cette confusion sémantique nuit, selon lui, à la lisibilité des enjeux de santé publique et à la place des ostéopathes dans le système de soins.
Risques de report vers l’Assurance Maladie obligatoire
Un autre effet pervers redouté par les professionnels serait le transfert de charges vers l’Assurance Maladie obligatoire (AMO). Aujourd’hui, ce sont les mutuelles qui remboursent les séances d’ostéopathie. Si ces remboursements venaient à disparaître des contrats responsables, les patients pourraient se tourner vers leur médecin traitant, avec à la clé une augmentation des consultations médicales et des prescriptions de médicaments ou d’examens complémentaires. Cette situation irait donc à l’encontre de la volonté de maîtrise des dépenses de santé.
De plus, certains patients renonceraient purement et simplement à ces soins, faute de moyens ou de couverture adaptée. D’autres seraient contraints de souscrire des garanties complémentaires spécifiques, plus coûteuses, ou une surcomplémentaire santé, entraînant une inégalité d’accès aux soins.
Des démarches engagées avec les acteurs de l’assurance santé
Conscient de l’ampleur du risque, Philippe Sterlingot a initié plusieurs démarches auprès des principaux acteurs de la complémentaire santé. Il a adressé un courrier aux 3 fédérations de l’assurance santé, et rencontré les responsables du groupe Vyv, premier acteur mutualiste français.
L’un des scénarios alternatifs discutés consisterait à isoler l’ostéopathie des autres médecines douces dans les contrats responsables, en reconnaissant son statut réglementé. Cette option permettrait de préserver le remboursement des actes d’ostéopathie tout en répondant partiellement aux recommandations du rapport sénatorial.
Cependant, cette solution demande une clarification réglementaire, afin de bien distinguer les pratiques encadrées (ostéopathie, chiropraxie) des approches plus subjectives ou non encadrées (sophrologie, naturopathie, etc.).
Le soutien des mutuelles encore incertain
Du côté des Ocam, la situation reste floue. Si certains acteurs, à l’image du groupe Vyv, semblent ouverts à la discussion, la position officielle des fédérations de mutuelles n’a pas encore été arrêtée. Pourtant, les présidents des 3 principales fédérations de la complémentaire santé ont à plusieurs reprises affirmé leur attachement à l’intégration des pratiques non conventionnelles dans les contrats santé.
Mais face à la pression politique et à la question du pouvoir d’achat, ces acteurs pourraient être tentés de revoir leur copie. Ce flou stratégique accentue l’inquiétude des professionnels de santé concernés.
Quel avenir pour l’ostéopathie dans les contrats santé ?
La possibilité d’un amendement glissé dans le PLFSS 2026 demeure aujourd’hui un scénario plausible, selon les représentants du secteur. Même si rien n’est encore acté, les ostéopathes redoutent que la mesure soit intégrée sans concertation préalable, comme cela a parfois été le cas dans d’autres réformes du système de santé.
Face à cette incertitude réglementaire, les professionnels multiplient les actions de sensibilisation auprès du public, des pouvoirs publics et des assureurs. La pétition en ligne pourrait n’être qu’un premier levier d’une mobilisation plus large dans les mois à venir.
Conclusion : l’ostéopathie, entre reconnaissance et fragilité réglementaire
La menace de déremboursement des actes d’ostéopathie par les complémentaires santé ravive une tension récurrente autour de la reconnaissance des médecines alternatives en France. Bien que réglementée, l’ostéopathie reste fragile dans son positionnement au sein du parcours de soins.
Si la logique économique des sénateurs s’entend, elle ne peut ignorer les bénéfices thérapeutiques et l’utilité sociale de ces pratiques, notamment pour désengorger les cabinets médicaux et améliorer la qualité de vie des patients.
L’enjeu des prochains mois sera donc de trouver un équilibre entre maîtrise des dépenses, accessibilité des soins et reconnaissance des professionnels de santé non conventionnels, mais pourtant essentiels dans l’architecture globale du bien-être en France.