La Caisse nationale de l'Assurance Maladie (Cnam) a récemment dévoilé un ensemble de 60 propositions visant à réduire le déficit chronique de la Sécurité sociale, qui s’élève à 13,8 milliards d’euros en 2024 et pourrait atteindre 18 milliards en 2025 si aucune mesure n’est prise. Ces propositions, soumises au vote du conseil de la Cnam le 3 juillet, ambitionnent de garantir la pérennité du système de santé français à l’horizon 2030.
La réforme s’articule autour de 3 axes majeurs : la prévention, la coordination des soins et une approche du « juste soin au juste coût ». Cependant, certaines de ces mesures pourraient directement affecter les remboursements de soins essentiels, comme les affections de longue durée (ALD), les changements de lunettes ou encore les arrêts maladie. Voici une analyse détaillée des principales pistes envisagées et de leurs implications potentielles, y compris leur impact sur les mutuelles santé.
Révision du dispositif des ALD
Les Affections de Longue Durée (ALD), qui concernent des pathologies chroniques graves comme le cancer, le diabète ou les maladies cardiovasculaires, permettent actuellement une prise en charge à 100 % des soins liés à ces affections. Avec le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques, le nombre de patients en ALD pourrait doubler d’ici 2035, exerçant une pression considérable sur les finances publiques. Pour alléger ce fardeau, la Cnam propose de revoir les critères d’éligibilité et la durée de prise en charge.
Une redéfinition des soins pris en charge
La Cnam envisage de publier une liste précise des soins jugés « spécifiques et efficaces » pour chaque pathologie en ALD, limitant ainsi les remboursements à 100 % aux traitements strictement nécessaires (sur la base du tarif conventionné).
Par exemple, les patients en rémission d’un cancer pourraient perdre leur statut ALD, ce qui les obligerait à assumer une partie des frais de suivi médical. De même, certaines conditions considérées comme des « risques chroniques » (hypertension artérielle, obésité, hypercholestérolémie ou diabète de type 2 sans complications) pourraient être exclues du dispositif, au profit d’une approche axée sur la prévention.
Conséquences pour les patients
Cette réforme pourrait alourdir les dépenses de santé pour des millions de Français, en particulier ceux atteints de pathologies chroniques. Les patients exclus du dispositif ALD devront se tourner vers leurs mutuelles ou payer de leur poche les frais non remboursés, ce qui pourrait accentuer les inégalités d’accès aux soins. Le gouvernement devra préciser comment il entend encadrer ces changements pour éviter des répercussions trop lourdes sur les ménages.
Réduction de la prise en charge des cures thermales
Souvent prescrites pour soulager les douleurs liées à des maladies chroniques comme l’arthrose ou les troubles respiratoires, les cures thermales bénéficient actuellement d’une prise en charge partielle ou totale par l’Assurance Maladie.
Les personnes en ALD profitent d’un remboursement à 100 %, tandis que les autres bénéficient d’une couverture de 65 à 70 %. Cependant, la Cnam remet en question la pertinence de cette prise en charge intégrale.
Une remise en cause de la légitimité
La Cnam souligne que l’objectif n’est pas de dérembourser totalement les cures thermales, mais de réévaluer leur financement par la collectivité. Cette proposition fait écho à un rapport de la Cour des comptes d’avril 2024, qui allait plus loin en suggérant un déremboursement complet, arguant que la France est une exception en Europe. En Allemagne, par exemple, la prise en charge des cures thermales est conditionnée aux revenus des patients.
Impact potentiel d’un déremboursement des cures thermales
Une réduction des remboursements pourrait dissuader de nombreux patients, en particulier les seniors, de recourir à ces cures, souvent perçues comme un complément thérapeutique précieux. Cela pourrait également affecter l’économie des stations thermales, qui emploient des milliers de personnes.
Les patients devront alors se tourner vers des solutions alternatives ou assumer des coûts supplémentaires, ce qui pourrait accroître la demande sur les mutuelles santé.
Changements de lunettes moins fréquents
Actuellement, les Français peuvent renouveler leurs lunettes tous les 2 ans sans nouvelle prescription, sous certaines conditions. La Cnam propose de revoir ce système, sans préciser la nouvelle durée envisagée. Cette mesure vise à réduire les dépenses liées à l’optique, un poste coûteux pour l’Assurance Maladie.
Bon à savoir : depuis 2021, la réforme du 100% Santé optique permet d’accéder à des lunettes de correction sans reste à charge (verres et monture), dès lors que votre complémentaire santé est une mutuelle responsable.
Conséquences pour les usagers
Allonger la durée entre 2 renouvellements de lunettes pourrait poser problème pour les personnes dont la vue évolue rapidement, comme les enfants ou les seniors. Cela pourrait également limiter l’accès à des équipements adaptés, essentiels pour la qualité de vie et la sécurité (par exemple, pour la conduite). Les patients pourraient être contraints de payer de leur poche pour des lunettes supplémentaires ou de s’appuyer davantage sur leurs complémentaires santé.
Précisons toutefois que le dispositif 100% Santé prévoit un renouvellement anticipé en cas d’évolution de la vision avant le délai de 2 ans et qu’aucun délai minimal n’est requis pour les situations les plus sérieuses comme la DMLA, le glaucome ou la cataracte évolutive.
Réduction de la durée des arrêts maladie
Face à l’augmentation des arrêts maladie, la Cnam propose de limiter leur durée pour réduire les dépenses liées aux indemnités journalières. Après une hospitalisation, un arrêt de travail ne pourrait pas excéder un mois, et en ville, il serait limité à 15 jours. Les renouvellements d’arrêt maladie seraient plafonnés à 2 mois.
Un Impact sur les salariés
Cette mesure pourrait compliquer la situation des patients nécessitant un repos prolongé, notamment ceux atteints de maladies graves ou en convalescence après une opération. Une limitation trop stricte pourrait également inciter certains à reprendre le travail prématurément, au risque d’aggraver leur état de santé. Les employeurs et les mutuelles pourraient être sollicités pour compenser les pertes de revenus ou les frais médicaux supplémentaires.
Quel impact sur les mutuelles santé ?
Une pression croissante sur les complémentaires
Si elles sont adoptées, les propositions de la Cnam transféreront une partie significative des coûts de santé vers les patients et leurs mutuelles. Les complémentaires santé devront probablement ajuster leurs contrats pour couvrir les frais non remboursés par l’Assurance Maladie, notamment pour les ALD, les cures thermales et les lunettes. Cela pourrait entraîner une hausse des cotisations pour les assurés, rendant la mutuelle santé plus coûteuse, en particulier pour les seniors ou les personnes à faibles revenus.
Une réévaluation des garanties
Les mutuelles pourraient être contraintes de revoir leurs garanties pour inclure des remboursements plus élevés sur les postes ciblés par les réformes, comme les cures thermales ou les soins optiques.
Cependant, cette adaptation pourrait se traduire par des contrats plus sélectifs ou des options à la carte, où les assurés paieraient des primes supplémentaires pour des couvertures spécifiques. Cela risque d’accentuer la fragmentation du marché des complémentaires santé, avec des offres très variables en termes de coût et de qualité.
Inégalités d’accès aux soins
Pour les ménages ne disposant pas d’une mutuelle performante, ces réformes pourraient aggraver les inégalités d’accès aux soins. Les patients à faibles revenus, qui dépendent fortement de la prise en charge à 100 % pour les ALD ou les cures thermales, pourraient renoncer à certains traitements faute de moyens.
Les mutuelles devront jouer un rôle clé pour amortir ce choc, mais leur capacité à absorber ces nouveaux coûts dépendra de leur modèle économique et des arbitrages du gouvernement.
Un plan d’économies déjà en cours
La ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, a annoncé un plan d’économies de 1,7 milliard d’euros pour 2025, incluant 100 millions d’euros de réduction sur les indemnités journalières. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, elle a qualifié les propositions de la Cnam d’« extrêmement intéressantes », laissant présager leur intégration dans le prochain budget de la Sécurité sociale. Ces mesures s’inscrivent dans un contexte de dérapage budgétaire observé en 2024, obligeant le gouvernement à agir rapidement.
Les réformes proposées par la Cnam soulignent la nécessité de rééquilibrer les finances de l’Assurance Maladie tout en préservant l’accès aux soins. Cependant, elles soulèvent des questions sur l’équité et l’efficacité du système de santé. La réduction des remboursements pour les ALD, les cures thermales, les lunettes ou les arrêts maladie pourrait fragiliser les populations les plus vulnérables, tout en augmentant la pression sur les mutuelles santé.
Le gouvernement devra trouver un équilibre entre économies budgétaires et protection des citoyens, tout en évitant une hausse excessive des cotisations des complémentaires santé. Les débats autour du budget 2026 de la Sécurité sociale seront cruciaux pour déterminer l’ampleur et la mise en œuvre de ces réformes.